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Association Le Hang'art

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Le meilleur blog artistico-culturel de l’Extrême-Nord de la banlieue Ouest®



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mercredi 26 septembre 2012

Attention au nouveau départ

Fin de l'aventure, 

début d'une nouvelle ère


Pages blanches

Pellicules vierges

Musiques encore silencieuses

Textiles à broder, coudre, tisser ou sculpter

Céramiques à pétrir

Toiles en attente de châssis, de couleurs et de traits

Photos à cadrer, instants à saisir, images à développer

Textes à écrire, voyelles et consonnes à assembler

Vies à inventer, idées à trouver, projets à accomplir, œuvres à réaliser

L'inventaire est inachevé, on continue, ailleurs et  autrement.


Le site - physique - du Hang'art n'est plus.
Les ateliers de la rue Bernard Jugault ont tous fermé. La diaspora artistique a essaimé. Les petites entreprises se sont éparpillées. Seule, vaillante et résistante, Anne-Emilie et Sébastien est encore rue de Nanterre, à deux portes et trois pas des  28, 30 et 32, ses voisines.


Aujourd'hui, le Hang'art ferme les portes virtuelles de son blog, le meilleur blog artistico-culturel de l'Extrême-Nord de la banlieue Ouest®-est-il vraiment nécessaire de le rappeler ?

Encore un grand merci à tous ceux qui nous ont soutenus. La résistance à l'implacable déferlante immobilière aura duré presque trois ans.

Pour suivre les uns ou les autres, la tuyauterie internet est à votre disposition. Elle vous guidera vers les galeries, nouveaux ateliers, salles de projection ou de concert.


Au plaisir de vous croiser...


... Et, pour voir et lire, dans un avenir proche (pas lire dans l'avenir....) les travaux et les œuvres des hangart'iens prolifiques, vous avez le choix :


27 septembre, en librairie

Sortie de  

Elephasme, rinolophon, cameluche et autres merveilles de la nature

de Philippe Mignon aux Editions des grandes personnes.   





 






29 septembre, à La Courneuve
Portes ouvertes à L'Abominable  (l'autre Cité du cinéma du 9-3, un autre cinéma)






De 14h à 20h
Entrée libre

30 rue de Genève
93120 La Courneuve
RER B La Courneuve-Aubervilliers
Tél. : 01 82 02 62 72

"Venez visiter nos locaux et nos installations, nous rencontrer et partager un verre… 

Dans les anciennes Cuisines Scolaires de la ville, nous avons installé développeuses et tireuses, chambre noire, banc-titre, salles de montage, passages depuis et vers le numérique, tous les outils - certains devenus rares ! - pour travailler le support film, que nous mettons à disposition de nos adhérents pour produire. 

A intervalle régulier, tout au long de l’après-midi, nous projetterons quelques films qui ont été réalisés dans notre atelier.

A 20h30 au cinéma L'Etoile
Entrée libre
1 allée du Progrès
93120 La Courneuve

En clôture des Portes ouvertes, le cinéma L’Etoile nous accueille le temps d’une soirée. Elle débutera par le premier épisode, consacré à L’Abominable, d’une série documentaire sur les espaces collectifs de travail et se poursuivra avec quatre films réalisés dans notre laboratoire, s’appropriant chacun à sa manière les principes techniques du cinéma afin d’en explorer les possibilités."














Jusqu'au 6 novembre

Michèle Forest et les infatigables Exploratrices exposent jusqu'au 6 novembre aux Ateliers de Paris
30 rue du Faubourg Saint-Antoine, à Paris, évidemment, dans le 11e 
Entrée libre, 10h-13/14h-19h. Toutes les infos sur Paris.fr












Une prochaine fois

Éric Turlot et le ZikJaz trio live at Dorothy’s Gallery : ça jazzait 27 rue Keller à Paris dans le 11e
Ambiance US et Jazzy

C'était vendredi 21 septembre, c'est passé, snif, mais pour en savoir plus ou écouter le trio bientôt, chic : Dorothy's Gallery ou le site d'Éric.




Jusqu'au 26 octobre, c'est à Tulle que ça se passe pour Béatrice Nodé-Langlois



Et en prime, 

une vue depuis l'atelier ardéchois de Béatrice, 

qui nous offre en cadeau d'au revoir une nouvelle... 

... sérénissime !







SEPT FOIS VENISE

J’suis verte. J’ai manqué mon train. Il est
seize. Il partait à treize". Je tombe, gare de
Bercy, sur ce cri lancé dans un portable.
Je tombe sur ce cri, mais je ne tombe pas.
Loin d’être verte, je rougeoie de m’être trop
dépêchée. Première arrivée du groupe qui
m’emmène à Venise, je trompe mon attente
en chantonnant : "Il est seize. Il partait à treize".
Un refrain pour comédie musicale. On
enchaînerait à un train raté une ribambelle de
quiproquos rocambolesques. "Il est seize. Il
partait à treize" reprendrait au final, en dansant,
un choeur de voyageurs...

Quatorze heures plus tard, à la station Santa
Lucia, l’embarcadère du vaporetto roule doucement
sous nos pieds. La nuit en train ne m’a
pas apporté le bercement espéré. Elle a été
heurtée, insomniaque et bruyante, mais vient
de s’effacer.
Trois mastodontes des mers croisent devant
l’horizon. J’apprendrai qu’il s’agit du "Ruby
Princess", du "Costa Victoria" et du "Sea Star".
Ces trois immeubles flottants baladent sans
émettre un son et sans faire un pli dans l’eau
leurs neuf étages de cabines, leurs trois mille
touristes, leurs mille hommes d’équipage et
leurs piscines, salles à manger, salles de sport,
salons... j’en oublie, bien sûr... Certains obèses
donnent cette impression d’immense placidité...
On ne les voit pas se déplacer. Mais qu’on
les lâche des yeux et, l’instant suivant, on ne les
retrouve pas à la place où on venait de les voir.
On s’inquiète près de moi : "Les dégâts que ça
doit faire. Ça doit saper les pilotis". Tu parles !
Il fait chaud. La grande lumière bleu gris blesse
les yeux. Un voilier trois mâts sans voile est
accosté pas loin. Une foule agitée se presse
autour du vaporetto. La même foule qu’aux
heures de pointe dans le métro parisien. A
Venise comme à Paris, on se sent pris dans des
intimités forcées, des bousculades, des piaillements,
gloussements, rigolades et agacements.
Les mêmes commandements se font entendre,
"laissez descendre, poussez pas, écartez-vous,
laissez monter" mais en italien... Les regards
ont beau se fuir, inspecter une rive ou l’autre,
se perdre dans les remous crème fouettée de
l’eau, errer d’une vedette-taxi à moteur à une
gondole noir et or -"le mythe est cassé, j’entends.
J’ai vu un gondolier appeler sur un portable"-
entre voisins serrés les uns aux autres,
comme entre sardines en boîte, on se touche
forcément, au moins des yeux. On s’inspecte
mutuellement l’épiderme, le grain de la peau,
sa finesse, sa couleur, ses ombres, sa pâleur, ses
poils, ses plissotis, ses boutons, points noirs, et
le reste... Pour les enfants que nos tailles adultes
empêchent de respirer, c’est pire.

Souvenir de la petite fille que j’étais quand je
suis arrivée pour la première fois, à Venise, au
tout début des années 50. Après quinze jours
de vacances en Autriche, son père s’était levé
un matin en déclarant que la guerre était
finie depuis plus de cinq ans et qu’il refusait
d’être aux ordres d’une pluie cafardeuse. Sa
femme, ses quatre enfants, leurs valises et lui
s’étaient donc empilés dans la voiture.
Direction : l’Italie. Ils avaient passé des cols
de montagne. Quand la route longeait des
abîmes, la mère enfonçait ses ongles dans les
épaules de la petite fille. Ils avaient fait une
pause dans les Dolomites, à Cortina
d’Ampezzo, et avaient mangé de la polenta
devant des aiguilles de rochers que son père
et ses frères se promettaient d’escalader -un
jour... La voiture une fois rangée dans un
garage gigantesque qui rappelait une image
de la tour de Babel, ils avaient déjeuné dans
une trattoria vénitienne sur un balcon étroit,
au-dessus d’un canal sombre qui sentait la
vase. Je ne jurerais pas que du linge y séchait
sur une corde, avec des draps, des serviettes,
des culottes et des chemises de corps, mais
c’est vraisemblable. Pendant ce repas, un sac
d’épluchures de légumes et d’arêtes de poisson
avait frôlé la tête de la petite fille. Il
venait d’un étage au-dessus, et avait éclaté
avec de grands plouf et de splendides éclaboussures
dans les eaux du canal. Aux tables
voisines, personne n’avait même sursauté. La
chaleur était épaisse, Venise sentait le pourri,
la famille comportait quatre jeunes enfants.
Les parents avaient décrété Venise encore mal
remise de la guerre et pris pension au Lido,
dans un vieil hôtel à véranda de bois dont la
peinture s’écaillait. On y servait au petitdéjeuner
des pyramides de fruits comme ces
enfants de la guerre ou de l’immédiate aprèsguerre
n'en avaient jamais vu. Au pied de cet
hôtel s’étendait du sable, une longue plage de
sable brûlant qui ne connaissait ni chaise longue
ni parasol, mais que bordaient de vieux
eucalyptus argentés et forts en parfum... Ce
premier séjour à Venise n’a laissé aucun souvenir
de musée ou de monuments à la petite
fille. Quand elle y retournera, des années
plus tard, pour un séminaire de sociologie de
l’art, il lui semblera découvrir la piazza San
Marco, ses arcades, sa basilique bulbeuse, et
son campanile dressé. Elle en déduira que sa
mémoire avait été monopolisée par le volontarisme
de son père, des images de montagne,
un paquet d’ordures, la beauté d’une
plage et... une tortue. Coursée au bord de la
mer par un de ses frères, cette tortue avait été
rapportée à Paris dans une boîte à chaussures,
percée de trous. Repas après repas, tout le
temps du voyage, les enfants s’étaient appliqués
à renouveler sa provision de laitue fraîche
et, à peine rentrés chez eux, s’étaient
souciés de rompre sa solitude en l’expédiant
dans la baignoire rejoindre le poisson rouge
qui y attendait leur retour. Seulement la tortue,
transformée en bolide, n’avait fait qu’une
bouchée de la queue frétillante de ce
poisson dont, un instant encore, elle avait
laissé flotter la tête ébahie.

Aucune tortue, aujourd’hui. Aucun animal
lent et balourd, aussi corseté qu’un tank
miniature, pour m’apprendre d’un coup de
dent meurtrier qu’aucune guerre ne s’achève
sans qu’une autre commence... Autour du
vaporetto qui descend le Canal Grande, il n’y
a que le ciel, le soleil, la mer. Et une suite de
palais délicats aux façades colorées, ponctuées
de fenêtres à l’ogive fine qui font penser à des
notes de musique. Une corde neuve grince sur
sa bitte d’amarrage. Quelques-unes de ses fibres
de surface ont éclaté et brillent, tels des
cheveux follets, blond vénitien. Le jeune
homme qui s’occupe, toutes les trois ou quatre
minutes, de tirer sur cette corde pour amarrer
le vaporetto à un embarcadère ou pour l’en
détacher, a le biceps bronzé et, sur les mains,
des gants de cuir noir. Les jours suivants, j’en
remarquerai dont les gants clairs, et non
moins élégants, seront du genre "golf". Une
jeune femme en portera, m’a-t-il semblé, en
caoutchouc bleu roi. Après une nuit en train,
je me sens sale et moulue. Mais je suis ravie
d’être ici et subis les vagues humaines qui me
ballottent, non comme une empoignade pénible,
mais comme une embrassade d’accueil.

Une fois nos affaires déposées dans nos chambres,
il est temps de déjeuner. Problème classique
de la vie en groupe. Suivre le
mouvement ? Ou faire bande à part ? En sautant
le repas, je gagne du temps libre. Rendezvous
est pris à l’Arsenal, devant l’entrée de la
Biennale d’Art Contemporain, but (ou prétexte ? )
de ce voyage... Je marche devant la
lagune, le long d’un quai plat, coupé de ponts
qui jouent à saute-mouton au-dessus des
canaux secondaires. La foule est dense. On lui
vend des boissons, des journaux, des souvenirs.
La lumière est intense. Rayonnante.
Saturée d’azur et d’or. Quelle prétention
insensée me pousse à chercher ici, dans un des
lieux les plus connus du monde, quelque
chose qui ne soit qu’à moi ? L’île de San
Giorgio Maggiore se trouve juste en face, avec
sa basilique blanche, conçue par le Palladio à
l’image d’un temple grec, et son monastère
attenant.

En février 1968, une jeune femme dont j’ai du
mal à croire qu’elle était moi a participé à un
congrès de sociologie de l’art, dans ce monastère,
siège de la Fondation Cini. Que faisait-elle
donc à ce congrès, elle qui ne serait jamais
chercheuse – sinon de midi à quatorze heures,
de cheveux à couper en quatre, et de petites
bêtes imperceptibles pour ses proches... ?
Réponse : vivant accrochée à un stylo comme
une moule à un rocher, elle avait adressé
quelques nouvelles à Jean Duvignaud, écrivain
et sociologue dont elle avait suivi les cours à la
Sorbonne. Il lui avait répondu de Chebika, en
Tunisie et conseillé d’écrire un roman plus
facile à faire éditer. À son retour, il l’avait
publiée dans sa revue, "Cause Commune", et
invitée à participer à plusieurs de ses séminaires,
dont ce congrès à San Giorgio Maggiore...
De Venise, elle avait envoyé cette carte à ses
enfants : un chat faisant le gros dos sur le
Rialto qui faisait lui-même le gros dos au-dessus
du Canal Grande... Mais le congrès ?
Quels souvenirs garde-t-elle du congrès ?
D’abord ceux de conférences, de débats, de
présentations de dramaturgies off, de radios
libres, d’avant-garde en art graphique et de
films underground -des films canadiens
notamment, remplis de détails quotidiens,
comme vus à la loupe-... Elle y avait entendu
exalter la subversion, l’imagination au pouvoir,
la liberté de créer et de penser, l’expérimentation
et l’attention au monde en train de
s’inventer. Mais elle y avait aussi appris que
"les Noces de Cana" de Véronèse, l’énorme
tableau du Louvre, avait été enlevé par
Napoléon au réfectoire de San Giorgio. Des
hommes à l’esprit libre pouvaient à la fois
interroger la culture, et en plaisanter avec leurs
voisins et voisines de table. À l’Accademia, ils
lui avaient présenté "La Tempesta" de
Giorgione ; au Correr, "Les Courtisanes" du
Carpaccio, tableau rebaptisé "Les deux dames
Vénitiennes", et, devant la statue équestre du
Colleoni, les guerres européennes au XVe siècle...
Il avait été question qu’elle intervienne,
mais une demi-journée de colloque avait dû
être supprimée... Elle se demande, aujourd’-
hui, si, prenant la parole en public, elle aurait
eu le cran d’évoquer ce qui lui arrivait. Passée,
en un vol d’avion, d’une existence de mère de
famille dans un trois pièces en banlieue parisienne
à quelques moments partagés avec des
intellectuels aussi curieux et ouverts que
Georges Pérec, Edgar Morin, Jean Bloch-
Michel, Pierre Scheffer, Jean-Jacques Lebel,
elle s’était sentie plus secouée par leur contact
que par n’importe quel film d’art et essai, mise
en scène théâtrale de nudités et de cris, ou
exhibitions en galerie, combinant provocations,
récupérations et détournements...
Quand sonna la fin de cette re/création, la
jeune femme s’en retourna à ses amours d’enfants
et de mari. Mai 68 allait l’y cueillir au
tournant.
Aujourd’hui qu’aux éternelles rides de l’eau
et des marbres s’ajoutent celles de mon âge,
je suis à Venise pour la Biennale d’Art
Contemporain 2011, appelée "Illuminazioni"
par un jeu de mot que la guide officielle, qui
n’appartient pas à notre groupe, souligne dès
l’entrée de l’Arsenal.
- Dans Illuminazioni, dit-elle, il y a IllumI et
Nazioni... Une façon d’exprimer que le
contexte politique et social ne laisse pas indifférent
l’art contemporain mis en lumière dans
cette Biennale... Allez, on avance !
Dans la première salle de l’Arsenal, une ribambelle
de façades d’armoires vieillottes, balafrées,
et déglinguées, disposées en forme de
paravents... une toute petite et très antique
maison chinoise, nichée en hauteur, de celles
qu’on appelle "pigeon houses"... Je suis la
guide, vois ce qu’elle nous dit de voir et écoute
ses paroles -jusqu’au moment où je me
découvre fascinée par tout autre chose- : l’immense
salle à hautes colonnes galbées où nous
venons d’entrer et à laquelle je trouve une
ampleur de temple égyptien.

... Intermède sur cet Arsenal de la République
Sérénissime, dont la salle de La Corderie où
nous nous trouvons n’est qu’un élément. Sa
construction a commencé en 1104. Plus de
neuf cents ans nous y contemplent donc. Ses
bassins et ses bâtiments sont entourés de trois
kilomètres de murailles crénelées de briques
rouges. Il fut entre le XIVe et le XVIe siècles,
la plus grande usine du monde. Le travail à la
chaîne y a été pratiquement inventé. Jusqu’à
seize mille ouvriers, tous corps de métiers
confondus, y ont travaillé. Un bateau par jour
en sortait. Entre deux conflits, les galères militaires
étaient utilisées pour le commerce.
Quand on a voulu l’embellir à la Renaissance,
d’authentiques colonnes antiques y ont été
transportées. Je veux croire qu’il s’agit de celles
qui m’impressionnent...
- Cessez de vous distraire ! devrait me gronder
la guide si nous étions en classe.
Mais il faut plus qu’une tête en l’air pour
déranger celle qui poursuit sa récitation apprise
par coeur. Me remettant à l’écouter, je suis
frappée par l’aspect autoritaire -limite sectaire,
au moins impérialiste- de ses paroles. Jamais
d’interrogation ou de curiosité devant les
oeuvres qu’elle présente. Rien que louanges
convenues. Il n’est à chaque fois question que
de projet conceptuel et des techniques
employées. Toutes les dizaines de phrases, on
vous précise "ce que l’artiste a voulu" et "ce
que les visiteurs sont invités à voir".
Une fois lancée dans le "mauvais esprit"
( enfant, on m’accusait de "faire la forte tête" )
j’entends :
- La chose particulière de cette artiste c’est sa
façon de travailler : elle se sert de matériaux
autour d’elle...
Un ricanement lui répond sous mon crâne :
- Ah vraiment ? cette artiste se sert de matériaux
autour d’elle ? quelle originalité ! mais
pour qui nous prend-on ? Pour un troupeau,
bien sûr...
Un autre artiste est censé "chercher à nous faire
voir la différence entre lumière naturelle et
lumière artificielle". Merci bien, cher artiste !
Plus loin, nous nous trouvons devant une longue
et étonnante sculpture composée de matériaux
hétéroclites à allure de dragon. Je prends
plaisir à la regarder sous différents angles
quand j’entends expliquer que "les chambres
à air qu’il comporte sont liées à la figure de
l’homme et les rubans à celle de la femme"...
Et ça se pique d’avant-garde !
Ailleurs Mondrian a été mis en kit, ou plutôt
en gommettes géantes pour classes de maternelle...
Plus loin, il y a la reproduction en cire
d’une statue qui fondra tout le long de la
Biennale... Des projections d’eau de Javel sur
des panneaux de soie sauvage d’une dizaine de
mètres de haut qui, vues de loin, donnent l’im
pression d’épis de blé... Des escaliers fabriqués
en verre à miroir qu’on nous dit "inspirés des
escaliers du Tintoret" et sur lesquels l’artiste
"est intervenue par des projections de peinture
et des bris de verre"... Quand même ! Pour peu
qu’on ait dans l’oeil même une très mauvaise
reproduction de la "Présentation de la Vierge"
par le Tintoret, comment ne pas s’agacer ?
Qu’on ne s’y trompe pas. Je n’ai rien contre un
art ouvert aux multimédia. -Qu’il emprunte à
la mémoire autant qu’à l’invention- bien sûr.
Le faux-semblant m’intéresse. L’hétéroclite
aussi... Et le chaotique, la matière amoncelée,
abîmée... Je suis sensible à l’usure, la salissure,
la fragilité... Bref, à tout ce qui vous met le nez
sur les violences, les angoisses, les incohérences,
les rêves de métamorphose du temps présent
et ses efforts pour produire quelque
chose... Je n’ai aucun mal à admettre qu’un
artiste, qui en a la place, fasse une collection
internationale de poubelles. Donner à voir des
objets devant lesquels on passe tous les jours
sans faire attention -parfait.
Ce qui me manque ici, et me manque gravement,
c’est l’absence dans le discours qui présente
cet art -dont l’ambition affichée est de
monopoliser le nom d’"art contemporain"- de
toute référence à l’émotion, l’intime, l’incertitude,
bref à la complexité, pour se limiter à
une fiche signalétique cent pour cent cérébrale.
Comment s’appelle cette oeuvre ? en quoi
est-elle faite ? quel est le nom de son auteur ?
quelle idée veut-il faire passer ?
... Oh, je sais bien que Duchamp... Oui,
Duchamp... Justement Duchamp, "peut-on
faire des oeuvres qui ne soient pas d’art ? "...
N’est-ce pas réduire grossièrement cette
réflexion qu’utiliser sa "Fountain", refusée en
1917 par la société des artistes indépendants de
New-York, comme alibi pour tout ce qui est
rentable : le simplisme, l’enfumage des foules,
la paresse émotionnelle et manuelle de certains
artistes, et leur soif de se faire prendre pour des
intellectuels, doublés d’hommes d’affaires ?

Après-midi dans les Giardini ( les jardins) à
naviguer du pavillon d’une nation à un autre.
Je ne suis cette fois aucun guide. Je ne suis que
moi. Simplement moi. Avec un plan pour
m’aider à me repérer. Il fait beau, et même
chaud. Des groupes pique-niquent au bord
d’un canal. D’autres s’offrent au soleil ou le
prennent, question de point de vue. On
mange et on boit dans un bar tout en lignes
obliques et fracassées. Des jaunes fluo s’y combinent
à des noirs et des blancs intenses...
Dans ces jardins publics qui ressemblent à un
grand parc d’attractions sous les arbres, un
certain nombre de nations possèdent, depuis
des dizaines d’années, des "pavillons" à l’architecture
variée. Pendant la Biennale d’art
contemporain, chacun de ces pavillons abrite
une installation d’Art contemporain. De là à
prendre l’oeuvre présentée dans un pavillon
pour l’image -une sorte de drapeau- de la
nation qui héberge cette oeuvre, il n’y a qu’un
pas que je franchis avec naïveté. Est-ce que
"pavillon" ne signifie pas à la fois drapeau, et
construction légère ?
J’en parle à Annick - ou Sylvie ? - que je croise :
- Non mais... tu as vu comment la Suisse se
présente ? N’est-ce pas incroyable ?
Annick -ou Sylvie ?- m’explique gentiment
que je n’ai rien compris. La Suisse, pour
reprendre mon exemple, ne "se présente" pas,
comme je le dis, à travers l’oeuvre qu’elle
héberge. Elle invite simplement un artiste -en
l’occurrence Thomas Hirschhom- à exposer
une de ses créations dans ses murs.
- C’est clair ?
- Limpide.
Je sais désormais qu’il ne convient pas de faire
d’amalgame entre la nation invitante et l’oeuvre
exposée. Ce qui ne m’empêche pas de poursuivre
mon jeu. Quelle image plus ou moins
consciente, une nation donne-t-elle d’ellemême,
en montrant telle ou telle oeuvre ?
Pour la Suisse, ça me semble en effet incroyable.
Le pays de la rigueur, de la banque et du
chocolat ferait-il des cauchemars de déménagement
? Du sol au plafond, il n’y a dans son
vaste pavillon qu’objets enrubannés de scotch
brun, papier kraft, papier bulle et carton
d’emballage. Tout sens dessus dessous, comme
dans mon atelier et celui d’une dizaine d’autres
artistes quand, en juillet dernier, nous
avions dû mettre les bouts pour cause d’expulsion...
Les Etats-Unis, eux, s’habillent en temple
grec, écrivent leur nom en lettres latines,
chantent Gloria, confondent tank et tapis de
jogging, guerre et sport, orgue et distributeur
automatique d’argent... La France renonce au
volontarisme, voire aux "idées claires et distinctes"
de notre Descartes, pour parler chance
et hasard... La Corée du Sud exhibe des
uniformes militaires joliment fleuris, des leurres
scintillants, des impacts de balle dans des
miroirs, et différentes phases d’une lutte entre
un homme et un robot... La Grèce se montre
nue et primordiale -murs blancs et étendue
d’eau- comme ses dieux antiques et ses villages
traditionnels. Réduite à presque rien... La
Belgique voit double et angoissé. N’expose-telle
pas une série d’oeuvres composées de deux
plaques de verre superposées, chaque plaque
étant peinte différemment ? L’effet peut être
intéressant. Mais est-ce que l’ensemble ne
risque pas de se casser et de se dédoubler ?...
Au Venezuela, on se moque du monde. De
notre monde. Une fresque murale colorée présente,
sous forme de figures humoristiques,
quantité de nos personnalités contemporaines
ou mythiques... La Russie affiche sa nostalgie
de cohérence en plaçant, au centre de la salle
principale, un des faisceaux composés de quatre
poteaux, massifs et costauds, faits d’un bois
ligneux, noirci par le temps et les mouvements
de l’eau, qui servent ici, à Venise, pour l’accostage
des vaporetto. Plus loin, tout se délite : kaléidoscope
et labyrinthe d’images... Le
Japon n’a pas fini de digérer sa dernière catastrophe.
On entre en effet dans un pavillon
plongé dans le noir. Une main invisible vous
guide jusqu’à ce qui, une fois la lumière revenue,
se révèle être la margelle d’un puits apparemment
sans fond. La pièce apparaît alors
ceinte d’un film d’animation figurant des
démolitions, suivies de gigantesques déferlantes...
Israël part éternellement en exode. Au
départ, de vieilles godasses enfoncées dans la
neige et le givre. À l’arrivée, une plage de
Méditerranée. Et entre les deux, la tuyauterie
et les robinets d’une conduite de gaz... Tchek
et Slovak Republics : glaces déformantes et
choses cassées ... Brésil, image de dèche, graffiti
pauvre, tête de poisson dans du sel. "Hao
no functiona"... Serbie, bizarroïde. Entre autres
images surréalistes : une barque avec des
roues, une svastika retravaillée pour évoquer
l’aigle d’Autriche-Hongrie, une autre svastika
en biais et en rouge... La Hongrie, byzantine
et illuminée... La Finlande déclare "all structure
are instable". De la peinture blanche
recouvre d’anciens graffiti... L’Allemagne s’est
transformée en chapelle funéraire. En hommage
à un acteur et metteur en scène...
L’installation du pavillon de La Grande-
Bretagne s’appelle "I impostor" (moi, l’imposteur)
On y entre au compte-goutte. Au bout
de dix minutes, je renonce à faire la queue. Je
lirai qu’il s’agissait d’une maison turque imbriquée
dans des ruines anglaises...

... J’ai raté plusieurs pavillons. Tant pis. Assez
de dispersion pour la journée. Une bière solitaire
via Garibaldi ramène mon troisième
séjour à Venise. La jeune femme que j’avais
été, et qui, à peine majeure et licenciée de
sociologie, s’était jetée à coeur et corps perdus
dans un mariage d’amour, venait d’être rejetée
par ce mari pour quelques mots, d’une importance
vitale pour elle, qui relevaient, selon lui,
de l’intolérable. Un gap culturel entre époux
qui, vu avec le recul du temps, s’inscrivait, à
quelques nuances près, dans le grand remueménage
des années 70. Leur divorce venait
d’être prononcé quand, pour la troisième fois,
elle vint passer quelques jours à Venise. Elle y
logeait sur l’île de la Giudecca, à l’hôtel
Cipriani où la grande entreprise de communication
dans laquelle travaillait son nouveau
compagnon tenait une réunion internationale
sur l’innovation, aussi solennelle que festive.
L’hôtel était le luxe même, mais les fenêtres de
leur chambre ouvraient sur la campagne et des
cultures maraîchères. L’emploi du temps de la
visiteuse fut simple. Courir dans la journée au
hasard des rues, des campi, des églises, des
musées... Flairer seule la ville... Puis rejoindre,
en début de soirée, les cadres sup'. pour un
apéritif au caffé Florian et un dîner dans une
trattoria à la mode, avant de finir la soirée au
Harry’s bar où elle crut se distinguer en
"piquant" un cendrier -un geste inscrit en
réalité dans la sociologie de cette époque et de
ce milieu-.

Une autre année (les temps désormais se chevauchent,
je n’en retrouve plus les dates) elle
est retournée à Venise pour le Carnaval avec
son second mari et quelques amis. Le
brouillard et la bruine brouillaient le regard
sur la ville. La Plazza était couverte d’eau. On
y marchait sur des planches qui ne protégeaient
qu’à peine. Remontant depuis vos
orteils, un froid mortel vous gagnait tout le
corps. On ne se sentait plus. On en devenait
irréel. Merveilleuse raison pour s’enfoncer
toujours plus loin à la rencontre des grands
masques costumés de dentelles, de satin, de
plumes et de soie qui parcouraient les rues et
les campi, en tournant sur eux-mêmes pour
bien se faire voir. Des marquises en loups de
velours noir et perruques enfarinées faisaient
de l’oeil à des Casanova, coiffés de catogan et
juste évadés des plombs en bas de soie et
chaussures à talons rouges. Des Pantalon
tiraient des nez de carton peint pas possibles.
Des Arlequin faisaient la roue et explosaient
en bigarrures. Des Colombine livides, vêtues
de velours pâle et de mousselines arachnéennes,
dansaient au-dessus de ponts en arcade.
Le centre de la ville n’était que vertiges, élégances
et exhibitionnisme. La neige tombait
sur la lagune, comme pour voiler de gaze ces
apparitions, aussitôt suivies de disparitions...
Les flocons cessaient-ils que la brume vous
glaçait jusqu’à l’os, sans pour autant vous
empêcher de regarder éperdument, ou de vous
montrer follement. Cette quatrième fois à
Venise, elle avait poussé jusqu’au ghetto, et
avait vu Othello à la Fenice.

Pour son cinquième séjour à Venise, son mari
et elle avaient été invités à coucher dans un des
vieux palais du Canal Grande, près de
l’Accademia et du musée Guggenheim. Là,
c’était bien comme le disaient les livres. Les
proportions étaient superbes, mais les peintures
du rez-de-chaussée moisies, et l’ancienne
salle de bal, presque vide en prévision de la
prochaine inondation. L’ensemble faisait sordide
et suranné. La propriétaire âgée y reprisait
des bas, collée à un petit radiateur, car
chauffer cette invraisemblable baraque coûtait
les yeux de la tête.

... Ris de l’eau. Ciel grisé. Une mouette crie.
Bruit répétitif de vaguelettes venant frapper les
pieux nécessaires à l’accostage des vaporetto.
On dirait cent mille tapotements d’ongles...
Rien que pour arriver sur ce quai depuis le
centre de Venise, je me suis perdue plusieurs
fois. Chaque place de Venise a son église et son
puits scellé et sculpté. Les rues et les canaux se
tortillent entre ces places. Les culs-de-sac sont
nombreux. Venise est un labyrinthe, je viens
d’en refaire l’expérience. Deux hommes à qui
je demandais mon chemin m’ont escortée jusqu’à
la plazza San Marco. L’un d’eux m’a dit
aller à Paris au moins une fois par mois. Il y
jouerait au poker et au casino... J’ai eu du mal
à trouver le départ de la ligne directe pour San
Giorgio. Hier, j’avais pris un vaporetto qui faisait
le grand tour par la mer. Il lui a presque
fallu une heure pour me déposer à San
Giorgio. À temps pour apercevoir le cloître du
monastère à travers la grille, mais la basilique
dans laquelle je voulais entrer venait de fermer.
Devant le banc où je suis assise, une photo de
la façade du Palais des Doges, quasiment blanc
sur blanc, digne et superbe, cruel et carcéral...
D’autres images en désordre dans ma tête : le
vermeil léger d’un coucher du soleil sur la
lagune tandis que je léchais un cornet de glace
au yaourt... une lessive à dominante rouge
étendue à sécher à travers une rue étroite...
notre marche à travers une Venise bleu nuit et
peuplée d’ombres, avec Annick et Danielle...
Punta de la Dogana, les jouets de plastique
que Jeff Koons a reproduits en gigantesque et
en acier... à l’Accademia, un Dieu aux bras
ouverts en demi-cercle pour accueillir une
Vierge pensive... une "Annonciation" de
Véronèse où la Vierge se montre aussi effrayée
que le pape juste élu dans le dernier film de
Nanni Moretti... Jan Fabre -en Christ mort- à
Santa Maria della Misericordia qui oblige ses
visiteurs à chausser des patins pour s’engager
sur son parquet doré et approcher de ses quatre
cerveaux hypertrophiés et de sa "Pieta" à
tête de mort... Pollock à la fondation
Guggenheim dont les toiles se changent soudain
en tourbillons d’étoiles et de fluides, en
trémoussement d’atomes, en mouvements
hallucinés de corde à sauter, jusqu’à ce que, le
dripping devenant truc, le miracle cosmique
tourne court... des photos à la fondation
Vuitton : de l’eau qui coule confrontée à un
bateau qui coule, des chutes de maisons à celles
du Niagara... au palais Grassi, trois peintres
contemporains : le Roumain Adrien Ghenie,
Philippe Perrot et ses jaunes crémeux d’où la
vie sort comme d’un oeuf, Marlène Dumas et
ses humains ramenés, avec grâce et puissance,
à de violentes expressions baveuses... une
vidéo aussi -de qui?- évoquant la rencontre
extatique sur une terrasse d’hommes, d’enfants
et d’oiseaux... Ah, j’allais oublier ! Dans
le grand salon de la fondation Prada, le plafond
est si opulent, si tape-à-l’oeil qu’en y
entrant je n’ai fait attention qu’à lui. Un de
mes pieds en a profité - le mal appris ! - pour
entrer dans un des plats, bas et rectangulaires,
remplis d’une eau sombre, qui composaient
une installation au sol. Ce pied dans le plat a
provoqué un petit scandale, mais bon, on ne
me l’a pas coupé. J’ai donc pu venir ici où j’échange
quelques mots avec d’autres touristes
qui attendent aussi - ah vous avez fait ? vous
connaissez ? et alors c’est bien ? on ne me l’a
pas conseillé, mais vous, vous trouvez... ? non,
moi, voyez-vous...

Quand mes voisins s’en vont, je tire de ma
poche le papier sur lequel j’ai noté deux graffiti
au pochoir, remarqués sur deux ponts différents.
KILL ALL ARTISTS sur l’un.
Et sur l’autre :
ANONYMOUS
STATELESS
IMMIGRANTS
PAVILLON...

Bienfait, après cette overdose d’images, de
mots, et d’impressions, de m’asseoir dans la
basilique de San Giorgio et d’y attendre que la
petite fumée d’Anish Kapoor sorte de son
chaudron et s’élève vers le dôme et au-delà.
"Du spirituel dans l’art" – merci à Kandinsky
pour cette expression. Et merci à Anish
Kapoor qui me la rend plus vivante que
Kandinsky lui-même. Je reste assez longtemps
pour saisir en détail le déroulé du mouvement.
Il y a d’abord quelque chose qui s’agite et se
tortille. Quelque chose comme une brume
convulsive qui rampe en tourbillons autour du
chaudron placé à la croisée de la nef et du
transept. Quelque chose en travail. Quelque
chose d’obstiné, à la recherche d’on ne sait
quoi... Et tout à coup, ce quelque chose prend
forme, altitude, direction, sens... Une vapeur
gris tourterelle s’élève et monte, monte,
monte, en dansant, sans effort ni tension.
S’agit-il d’une inspiration ? d’un sentiment ?
d’une action ? d’un instant de grâce ? Ou tout
bonnement d’un moment de vie plus fort ?...
j’y vois tout ce qu’on veut. Ce qu’on peut, plutôt.
Ce qu’on porte en soi. Ce qu’on traîne
avec, autour et derrière soi et qui, parfois, par
bonheur, nous entraîne à nous dépasser.
Après, bien sûr, cet élan retombera. Bien sûr, il
se cassera à nouveau. À nouveau, il s’éparpillera
en désordre à ras de terre, avant d’à nouveau...
De l’aérien plus léger que l’air.

Mon dernier voyage à Venise, avant celui qui
s’achève ce soir, fut également plus léger que
l’air : je ne l’ai jamais fait, et mon père non plus,
mais nous en avons beaucoup parlé. " Et si on
allait à Venise ? " me proposait-il encore, la
veille de sa mort, à quatre-vingt dix-huit ans.

Béatrice NODÉ-LANGLOIS.




À la prochaine !














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