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mardi 27 juillet 2010

Le Hang'art a pris ses quartiers d'été mais maintient le contact : Béatrice Nodé-Langlois nous livre à un rythme estival les épisodes de son feuilleton berlinois.

Voici le 2e. Le 3e vers le 15 août et le dernier avant la rentrée.
Bonne lecture,
Bonnes vacances !




"HIER" à Berlin, épisode 2


Rappel de l’épisode précédent : la narratrice, en visite à Berlin avec un groupe, est partie à la découverte, sans guide.



Ma balade solitaire a commencé par mille pertes de temps. Tenter de comprendre la signalétique d’une ligne de métro... chercher sur un plan des noms imprononçables pour quelqu’un comme moi qui ne connaît pas dix mots d’allemand... descendre à différentes stations, histoire d’entrevoir ce qu’il se passe à l’extérieur... reprendre le métro... en ressortir... arpenter, cette fois, une longue rue toute droite, y transpirer sous ma veste en trop, mon sac alourdi par le parapluie pour le cas où, et mes collyres obligés... croiser un magasin genre tout en stock et y acheter le déodorant qui remplacerait l’aérosol, confisqué pour dangerosité par les employés du contrôle, ce matin, à Orly... retourner dans le métro...

Le métro U de Berlin avec lequel je me familiarise n’a ni la lumière, ni le lacis de couloirs, ni les quais étroits de celui de Paris. Il n’a ni la céramique blanche, ni les affiches qui, à Paris, font penser à une longue bande dessinée cryptée qui se déploie, ou s’entortille, c’est selon...

Il n’évoque pas non plus un forage de taupes géantes, mais une succession de places publiques souterraines, ponctuées de colonnes de métal, grossièrement peintes et boulonnées, et reliées entre elles par de vieux trains, poussiéreux, étriqués, et provinciaux au point d’avoir toutes leurs vitres voilées non de tags violents et multicolores, mais de sortes de décalcomanies, façon dentelles de grand-mère, répétant ennuyeusement la forme blanche et stylisée de la porte Brandebourg...

En montant dans ce genre de wagon, je m’attendais à trouver un chat endormi sur un coussin brodé de l’Angelus de Millet, une couronne de mariée sous globe, et un porte pipes sur la cheminée... Oh ! j’allais oublier la pendule d'argent Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit : je vous attends...

Mais c’est tout autre chose qui me frappe quand je replie mon plan comme, en d’autres temps et d’autres lieux, on replierait un éventail. Ce qui m’entoure dans ce wagon c’est la vie courante, banale, débrouillarde et active de ceux qui ne sont nés ni coiffés, ni avec une cuiller d’argent dans la bouche, ni de la cuisse de Jupiter. Je veux dire la foule solitaire, remuante et braillarde, des garçons et des filles cool qui mordent dans des sandwiches tirés de sacs de papier brun sûrement recyclable. Ou sucent à travers des pailles de nylon la perfusion liquide qui leur vient de gobelets en carton blanc plastifié. Ils se tiennent debout, pressés les uns contre les autres, et s’accrochent aux barres... À mieux regarder, une tour, vraisemblablement turque, m’apparaît plus bas. Affaissée sur un siège. Une tour humaine, large et massive, dont chaque trait du visage – les sourcils, les paupières, les lèvres, l’ombre des narines et de la moustache – est largement souligné de noir. Un personnage à la Rouault. Ou dans le genre des sarcophages du Fayoum... Et, juste à côté d’elle, une femme que j’imagine sortie d’un tableau expressionniste. Nez pointu, lèvres pincées, regard vert, chevelure rousse, joues orange ombrées de mauve, elle a quelque chose de clownesque et de provocant à la fois.

Dehors, la chaleur est lourde, et la rue cosmopolite. Il y a de la poussière, des déchets, et cent odeurs de poisson frit. La plupart des silhouettes que je croise pourraient se rencontrer dans un marché moyen-oriental. Ou parmi les figurants d’un film de Wim Wenders. Ces gens sont-ils abîmés ? Ou simplement pas arrangés à la mode des magazines ? Pourquoi est-ce que je remarque particulièrement un homme petit, chaussé de lunettes de soleil, dont les cheveux aile de corbeau sont mi-longs, et les jambes arquées dans des bottes de cow-boy ? Je note aussi deux mendiantes à deux coins opposés d’un carrefour – deux opulentes maternités avec, chacune, un enfant allongé en travers des genoux.

Ici aussi, en dépit du laisser-aller, les rues se traversent au feu rouge. Jamais avant, même en absence de voiture.
Je flotte là, une heure ou deux, le nez au vent. Le nez plutôt au désir d’un souffle de vent.

Sans trop m’éloigner de la bouche de métro qui vient de me cracher, j’observe, flaire et tournicote entre des odeurs de gril et des façades plates dont les fenêtres régulières et alignées me font penser à du papier quadrillé. Des nuances de couleur fractionnent seules cette longue façade continue. Elles seules la transforment en une succession d’immeubles dont chacun se démarque de son voisin par un ton plus brun, plus jaunasse, plus verdâtre, ou moins gris... Les magasins, quand ils ne se contentent pas d’empiler des choses à manger sur d’autres choses à manger, sont marqués par la récupération et le décrochez-moi ça. Mais aussi la nostalgie des objets désuets. Et la provocation classique des têtes de mort et des bijoux à clous. Du coup, une direction s’impose.

à suivre...

mardi 6 juillet 2010

Le feuilleton de l'été, épisode 1

« HIER », A BERLIN

Je rentre d’un voyage de quatre jours à Berlin, en principe consacré à l’art contemporain.

Il n’était pas huit heures du matin, l’avion qui nous emmenait roulait encore sur la piste, quand, dans une ébauche de rapprochement avec mes voisins, je leur ai demandé :
- Pourquoi vous intéressez-vous à l’art contemporain ?
- Parce que je comprends tout de suite... parce qu’il n’y a rien à savoir avant... exulte ma jeune voisine qui, peu après, me présente ses excuses : l’avion décolle, c’est l’heure des sensations fortes, plus question de parler, elle se tourne vers le hublot et se concentre sur ce qu’elle éprouve.
- Oh, des amis m’ont entraîné, élude mon autre voisin, avant de me faire rire sur un tout autre sujet.
Moi aussi, c’est une amie qui m’a entraînée.

Nous quittons en taxi l’aéroport de Berlin pour le centre ville, quand, entendant quelqu’un traduire une affiche publicitaire, je lui demande de préciser un détail.
- Ai-je bien compris ? « Hier » en allemand signifierait « ici » en français ? Autrement dit, à Berlin, on écrirait « hier » pour dire « ici » ?
- Exact.
Un joli pied de nez à l’« hier » dont j’ai l’habitude.

Quand je me retrouverai seule et au bord du sommeil, ce tout petit mot de quatre lettres - mon « hier » français qui, à Berlin, a brusquement changé de sens - reviendra me tarabuster. Quelque chose me tracasse. Une idée que je n’arrive pas à repousser... Et si cet « hier », que je découvre agent double, avec une identité dans un pays, et une autre dans un autre, détenait un secret ? Une clef du Berlin que je suis venue voir ?
Je ne jurerais pas que j’étais encore éveillée, mais j’ai entendu très distinctement :
- Eh bien, oui, l’affaire est simple. Si, à Berlin, ton « hier » bien français a cédé la place à « ici », c’est que Berlin entend n’être plus qu’ici et maintenant. La Géographie à Berlin est en train de l’emporter sur l’Histoire. Le lieu efface le temps... Comment s’est passé cette substitution ? Oh tranquillement, en douce, sans scandale. Comme ces enlèvements, tu sais, dont personne ne s’alarme. Le temps passant, un soupçon finit quand même par se répandre. « Hier, se chuchote une rumeur, aurait disparu de Berlin » Oh ! il n’a pas tout à fait disparu. Il en reste des traces. Mais ces traces s’effacent...

L’étrange c’est qu’en plein jour et les yeux grand ouverts, j’ai bel et bien visité un Berlin où hier se réduisait à quelques traces fossilisées, ou négligées par les nettoyeurs. Ici occupait toute la place. Enfin, une place dominante... Un « ici » que les grandes formes inventives de bâtiments neufs et d’un art dit « contemporain » ne cessaient de remplir et de renforcer.

Pressentant cela, le jour de notre arrivée, j’ai pris mes distances avec le groupe et suis partie seule avec un plan de Berlin et une carte illimitée de métro. Le ciel était blanchâtre. Il faisait chaud. Je ne voulais pas être guidée. Je voulais découvrir par moi-même. Sentir et éprouver... Mais je voulais découvrir quoi ? Je voulais sentir et éprouver quoi ? Mon projet était flou. Intuitif... J’obéissais au besoin discutable de m’intéresser à ce qui est censé manquer d’intérêt. J’allais m’attarder sur ce qui passe pour inessentiel...
( à suivre)

Béatrice Nodé-Langlois