Nombre total de pages vues

Association Le Hang'art

Bienvenue sur le blog du Hang'art

Le meilleur blog artistico-culturel de l’Extrême-Nord de la banlieue Ouest®



Suivez-nous sur



mardi 6 juillet 2010

Le feuilleton de l'été, épisode 1

« HIER », A BERLIN

Je rentre d’un voyage de quatre jours à Berlin, en principe consacré à l’art contemporain.

Il n’était pas huit heures du matin, l’avion qui nous emmenait roulait encore sur la piste, quand, dans une ébauche de rapprochement avec mes voisins, je leur ai demandé :
- Pourquoi vous intéressez-vous à l’art contemporain ?
- Parce que je comprends tout de suite... parce qu’il n’y a rien à savoir avant... exulte ma jeune voisine qui, peu après, me présente ses excuses : l’avion décolle, c’est l’heure des sensations fortes, plus question de parler, elle se tourne vers le hublot et se concentre sur ce qu’elle éprouve.
- Oh, des amis m’ont entraîné, élude mon autre voisin, avant de me faire rire sur un tout autre sujet.
Moi aussi, c’est une amie qui m’a entraînée.

Nous quittons en taxi l’aéroport de Berlin pour le centre ville, quand, entendant quelqu’un traduire une affiche publicitaire, je lui demande de préciser un détail.
- Ai-je bien compris ? « Hier » en allemand signifierait « ici » en français ? Autrement dit, à Berlin, on écrirait « hier » pour dire « ici » ?
- Exact.
Un joli pied de nez à l’« hier » dont j’ai l’habitude.

Quand je me retrouverai seule et au bord du sommeil, ce tout petit mot de quatre lettres - mon « hier » français qui, à Berlin, a brusquement changé de sens - reviendra me tarabuster. Quelque chose me tracasse. Une idée que je n’arrive pas à repousser... Et si cet « hier », que je découvre agent double, avec une identité dans un pays, et une autre dans un autre, détenait un secret ? Une clef du Berlin que je suis venue voir ?
Je ne jurerais pas que j’étais encore éveillée, mais j’ai entendu très distinctement :
- Eh bien, oui, l’affaire est simple. Si, à Berlin, ton « hier » bien français a cédé la place à « ici », c’est que Berlin entend n’être plus qu’ici et maintenant. La Géographie à Berlin est en train de l’emporter sur l’Histoire. Le lieu efface le temps... Comment s’est passé cette substitution ? Oh tranquillement, en douce, sans scandale. Comme ces enlèvements, tu sais, dont personne ne s’alarme. Le temps passant, un soupçon finit quand même par se répandre. « Hier, se chuchote une rumeur, aurait disparu de Berlin » Oh ! il n’a pas tout à fait disparu. Il en reste des traces. Mais ces traces s’effacent...

L’étrange c’est qu’en plein jour et les yeux grand ouverts, j’ai bel et bien visité un Berlin où hier se réduisait à quelques traces fossilisées, ou négligées par les nettoyeurs. Ici occupait toute la place. Enfin, une place dominante... Un « ici » que les grandes formes inventives de bâtiments neufs et d’un art dit « contemporain » ne cessaient de remplir et de renforcer.

Pressentant cela, le jour de notre arrivée, j’ai pris mes distances avec le groupe et suis partie seule avec un plan de Berlin et une carte illimitée de métro. Le ciel était blanchâtre. Il faisait chaud. Je ne voulais pas être guidée. Je voulais découvrir par moi-même. Sentir et éprouver... Mais je voulais découvrir quoi ? Je voulais sentir et éprouver quoi ? Mon projet était flou. Intuitif... J’obéissais au besoin discutable de m’intéresser à ce qui est censé manquer d’intérêt. J’allais m’attarder sur ce qui passe pour inessentiel...
( à suivre)

Béatrice Nodé-Langlois