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lundi 30 août 2010

Le feuilleton de l'été juste avant la rentrée

30 août et un lundi, c'est une bonne date pour publier l'avant-dernier épisode du feuilleton de Béatrice.

Le feuilleton a 5 épisodes et non 4 comme annoncé en juillet... Tant mieux, le dernier épisode nous permettra de faire la jonction entre le rythme des vacances et celui de la rentrée.

A venir, des feuilles d'automne sur ce blog. Virtuelles, les feuilles, bien sûr...

Et aussi une feuille d'infos, ou newsletter en bon franglais, la lettre d'information du Hang'art.
A venir, bientôt.

Pour patienter, je vous laisse en excellente compagnie :




« HIER », A BERLIN. épisode 4


(rappel des épisodes précédents : en visite à Berlin pour quelques jours, la narratrice a commencé par se promener au hasard, puis a visité trois grands musées : le Musée Juif, l’Alte Museum et le Pergamon Museum)

Ce raccourci culturel m’a fait ressentir comme rarement la grandeur et la pesanteur de notre héritage, à nous artistes d’aujourd’hui. J’y repense en rejoignant le groupe qui va me faire entrer dans l’art dit « contemporain ». J’y vais, je dois dire, avec plus de curiosité que d’intérêt profond. J’accuse cet art dit « contemporain » de monopoliser le qualificatif de « contemporain ». Et le soupçonne de vouloir éliminer ce qu’il reste d’« hier ». Voire, de prétendre qu’il n’a rien existé avant lui. J’y vais donc sans traîner les pieds, mais avec perplexité. Pour voir. Peut-être même, juste pour avoir vu ?

Difficile pourtant de nier que l’exposition d’Olafur Eliasson au musée Martin Gropius me fait de l’effet. Elle commence par me promener devant un mur animé d’ombres chinoises gigantesques que ma présence modifie. Elle m’emmène ensuite dans une immense soupente, toute tendue de papier alu. Là, je me crois transportée au centre d’un miroir déformant, cent fois plus vaste que ceux devant lesquels je restais saisie, enfant, parce que, loin de malmener le réel, ces miroirs me semblaient révéler la réalité trouble de mon intérieur.
Pour revenir à l’expo Eliasson, elle a fini par m’entraîner à travers quelques pièces en enfilades - impossibles à décrire et même à compter parce qu’on y marchait, comme dans une tranche napolitaine, à travers des couches et des couches de brouillard diversement colorées. Ça m’a fait un moment penser au « sfumato » de Léonard de Vinci à très, très grande échelle. Et puis j’ai cessé de penser. Je n’étais plus qu’à mes perceptions. Notamment à mon appréhension devant un brouillard rouge feu, dans lequel je n’ai osé pénétrer qu’à pas lents, les mains tendues en avant...
Certains fanas d’art contemporain applaudirent sans arrière-pensée, « cet artiste est un malin ! » « ça fait du bien de voir ça, c’est direct et simple ». Pas moi. Cent questions germaient sous mon front. Qu’étaient ces sortes de sculptures immatérielles qui, en magnifiant mes expériences de terrains de jeux et de parcours de foire, avaient l’art de me fasciner et de m’embarquer jusqu’à paraître m’absorber...? Pourquoi tous ces jeux sur l’illusion et le faux-semblant ? Ces mises en scène hallucinatoires ? Ce Musée Grévin devenu Musée d’art ?

Après, j’ai continué à perdre un peu – beaucoup ? – la tête. Des installations dites artistiques, j’en ai vues tellement ! Où se trouvait donc celle-là ? De qui était-elle ? Oublié...
Penser que j’ai vu présenter en photo l’enregistrement sismographique de la battue d’un chef d’orchestre pour la 5ième symphonie de Gustav Malher... Coloriser des bouses d’éléphants dans les teintes fraise, pistache et vanille de pâtisseries anglaises, et les exposer sous des cloches à gâteaux... Peindre un drapeau américain aux couleurs de l’Afrique, et en découper un autre dans le carton ondulé sur lequel les SDF dorment dans nos rues... Collectionner des objets aussi hétéroclites que ceux qui s’accumulent dans les fonds de tiroir et la plupart de nos ateliers... Numéroter des galets... Présenter un recueil de poésie anglaise comme une suite quasi incohérente de lettres parce que sans ponctuation, ni même d’intervalle entre les mots, les phrases, et les paragraphes, et sans majuscule en tête des phrases et des noms propres... Projeter dans de l’obscurité là où il fallait, ce qu’il fallait de lumière pour donner l’impression d’une porte entr’ouverte... Faire apparaître, dans un cylindre oscillant rempli d’eau, une frêle colonne d’eau qui, en se dissociant du reste, se dressait en tournant sur elle-même avec des allures de mini cyclone, de cordon ombilical, de vis sans fin, ou de cobra translucide... Allonger devant une fenêtre un cadavre de cire, revêtu d’un pyjama de marque... Exposer un tableau de très haute et large taille, fait d’une seule immense feuille de ce papier d’argent qui recouvre les tablettes de chocolat, en affichant le coût de sa matière première, 2 euros 50 du mètre carré, je crois... Peindre une longue et mauvaise, mais très esthétique, imitation de Vasarely, censée évoquer l’avenir de la peinture sur le couvercle des boîtes de chocolat... Suspendre un gros pendule capable d’éviter la personne qui se met sur sa trajectoire (là, j’ai entendu crier « super ! » « dément ! » ) ... Aligner une série des photos de l’artiste qui se construisait des cabanes dans des chambres d’hôtel... Récupérer une cloche d’église, sans battant, et l’exposer comme une œuvre personnelle... Façonner – c’était Kitty Krauss - des cubes de verre mal jointoyés, dont les faces internes sont des miroirs, et les faces externes, opaques. Placer à l’intérieur de chacun de ces cubes une ampoule allumée. À moins que cette ampoule ne soit trop forte et que sa chaleur ne fasse exploser ces cubes introvertis, faire rayonner la lumière par les interstices laissés aux jointures de chacune des faces... Déployer et emmêler des rubans rouges, jaunes, bleus et verts sur plusieurs mètres de long avec une présentatrice à côté pour vous exposer l’intention de ce graphiste : dessiner des paysages avec ces rubans... au premier abord, cela semble absurde, ce fatras géant de couturière est si loin de faire penser à un paysage ! Et puis, le cerveau se met en branle, pourquoi en effet ne pas évoquer des paysages à l’aide de rubans ? Est-ce que toute représentation, même ressemblante, est autre chose qu’une représentation ? Le pinceau de Cézanne comme l’encre de Chine du moine Citrouille-Amère n’ont pas plus peint de paysages que Magritte n’a peint de pipe avec son image de pipe qui « n’est pas une pipe »...

Plus j’en vois, plus je réalise qu’entrer dans l’art dit « contemporain » se passe rarement de commentaire. Qu’est-ce que c’est ? se demande-t-on. Ça veut dire quoi ? Et, techniquement, c’est fait comment ?
Prétendre se limiter à ici et maintenant ne suffit pas à acquérir la belle simplicité de l’immédiat. Pour faire oublier la main, s’appeler « art » et appâter les collectionneurs, l’art dit « contemporain » doit s’entourer de commentaires philosophiques, sociologiques, ou politiques. Loin d’en appeler au seul regard décalé et au pas de côté par lequel commencent les rencontres amoureuses, il s’adresse à l’intellect- on dit au « conceptuel ». Et contraint ses fidèles à des exposés pédants. Je suppose que c’est ce côté « vous me l’apprendrez pour lundi, et me le réciterez sans faute par cœur » qui fait marmonner à une femme, près de moi, que les œuvres qu’on nous présente « ne peuvent se passer de bla-bla ».
Parce que je me retourne pour lui sourire, la femme au franc parler poursuit plus haut :
- Moi, ça m’est égal de quoi parle cette œuvre... Les autres, ce qui leur plaît c’est que, comme en classe, il faut essayer de comprendre et de retenir... Désolée, mais pour moi, ce qui compte, c’est ce qui me touche. (à suivre)

Béatrice Nodé-Langlois

mardi 17 août 2010

Le feuilleton du Hang'art, par Béatrice Nodé-Langlois

La suite !



« Hier », à Berlin


épisode 3

(Rappel des épisodes précédents : après avoir choisi d’errer au hasard dans le métro et un quartier turc de Berlin, la narratrice découvre où elle veut aller)

Je décide d’aller au Musée Juif.

Pourquoi la visite de ce musée - qui n’a rien d’une errance hors des circuits balisés par les guides - se présente-t-elle soudain à moi comme le premier pas que je dois faire dans l’ici et maintenant de Berlin ?

Les raisons ne manquent pas. Mais celle qui me détermine est

sans doute d’avoir passé neuf mois, l’année dernière, à écrire avec un ami ex-déporté, Henri B., un manuscrit sur sa déportation que mon co-auteur a arrêté la veille du jour où Plon nous envoyait un contrat.

Une chose du moins est claire : après avoir eu envie de flotter, d’errer et de flairer, je ne pense plus qu’à trouver le musée inspiré à Daniel Libeskind par la volonté hitlérienne d’exterminer les Juifs...

Je recommence par perdre beaucoup de temps à construire mon itinéraire sur le plan. Puis à le chercher pour de vrai dans les rues et les avenues. À le rater... me tromper... revenir sur mes pas... retourner à mon point de départ... tourner autour de lui... le quitter presque au hasard pour tomber enfin sur le lieu que je cherche à atteindre – et, tout aussitôt, m’y reperdre, vu que le Musée Juif semble conçu pour qu’on s’y perde. Ou, plus précisément, pour rendre sensible la perte brutale de repères, et donner la sensation, beaucoup plus que la sensation, le choc d’un bouleversement physique et mental.

L’ensemble est très neuf, très blanc, et parfaitement clair, mais tout y est légèrement oblique - le sol, les murs et les couloirs. Aucun angle n’est droit. Tous sont plus ou moins aigus ou obtus.

Plutôt que dans un musée, il me semble marcher dans une énorme sculpture éclatée, de la taille d’un bâtiment. C’est à la fois rigoureux et aberrant. Consistant et instable. Ou, dit autrement, instable avec consistance... On y fait, m’a-t-il semblé, l’expérience d’une « décontenance » permanente.

La murette sur laquelle je m’assieds se trouve inclinée vers l’avant de sorte qu’elle tend à m’évincer. 49 colonnes à pans coupés sont devant moi, couronnées d’oliviers. Ces colonnes sont tellement serrées les unes contre les autres que, comme dans une forêt trop dense, ou dans une foule trop serrée, le soleil n’atteint pas le sol couvert de galets qui font trébucher.

On est à la fois là, et repoussé...

Le lendemain, pendant que le gros de notre petit groupe se dirige vers le Musée Juif, je prends la direction de l’Île aux Musées. Cette fois, je pense mieux m’orienter. Mais quelle vanité de le croire ! Le circuit de métro qu’il me faut prendre cette fois n’est pas celui dans lequel j’ai navigué la veille. Je dois me faire expliquer sa logique. Pareil, quand je le quitte pour une rue dont je ne saisis pas l’orientation...

Mais voilà enfin l’Alte National Gallery Museum. Le vieux musée prussien. Opulent et confortable comme tous les grands musées du XIXème siècle. L’incarnation même d’un petit bout d’hier conservé, et parfaitement balisé. Fraîcheur. Calme. Ampleur. On marche sur des sols carrelés de marbre, le long de murs couverts de damas rouge, sous des plafonds à de telles altitudes qu’ils poussent au rêve. Ici, plus de problème de langue, sinon celle de la peinture. Impression d’être reçu dans un palais dont les souverains sont des tableaux et les majordomes des gardiens de musée. Je n’ai pas compté, mais il se pourrait bien qu’en cette fin de matinée, il y ait davantage de gardiens que de visiteurs...

Dès la première salle, je reçois plein les yeux, « La vague » de Courbet. Un tableau, comme coupé en deux, dans lequel les nuages du ciel répondent aux vagues de la mer. De lourds cumulus, sombres et tumultueux, roulent sur le fond clair du ciel, tandis qu’à l’étage au-dessous, des trombes d’eau jaillissent, éclatent et écument au-dessus d’une mer d’encre épaisse.

M’approcher de ce tableau, capable d’évoquer la splendeur cosmique des catastrophes qui menacent notre humanité, m’apprend qu’il a été peint en 1870, année où l’Allemagne, sous le chancelier Bismarck, et la France, dont Napoléon III était empereur, se faisaient la guerre.

1870, c’est aussi un an avant la Commune de Paris qui marquera le destin de Courbet.

Les yeux, débarrassés des excès du soleil, se refont, après celles de Courbet, aux ombres et aux lumières de Goya, ou d’un Corot frémissant... Je découvre Manzel, enfin, moins ses grandes œuvres qu’une tête de cheval, et un pied fatigué. Et rencontre au troisième étage Gaspar David Friedrich que je suis venu chercher dans ce musée. Son « Moine devant la mer » de 1809-1810 – une infime silhouette debout au milieu d’une infinité de gris évoquant le sable, la mer et les nuées d’un ciel démesuré - me retient un long moment. Ses autres tableaux exposés ici me paraissent par contre - peut-être parce que je suis fatiguée ? - tourner à l’illustration fantastique, et au procédé.

Je suis en effet fatiguée, et manque de courage pour une vraie visite du Pergamon Museum Mais Sylvie qui me l’a conseillé avait raison. Même sans y passer des heures, ce musée vaut largement la peine. Ne serait-ce que pour se trouver face à l’immense porte bleue transportée depuis Babylone, dite porte d’Ishtar, ( 6ème siècle avant J-C) et à ses bas reliefs de briques émaillées qui représentent des taureaux, et des serpents-dragons, nommés Mushussu, à tête de serpent, cornes sur cette tête, queue de vache, pattes avant de lion, et pattes arrière de rapace.

Ou cette autre merveille antique : le Grand Autel de Pergame ( deuxième siècle avant J-C), transporté, lui, depuis la Turquie actuelle, et sa frise sculptée de 110 m de long qui illustre le combat des Dieux de l’Olympe contre les Géants des premiers temps. Autrement dit, la lutte de l’ordre contre le désordre. Un thème qui, sans même parler de la beauté voluptueuse des corps enchevêtrés, me touche très fort, moi qui vis avec l’impression d’arracher sans cesse ce que je peins et ce que j’écris, voire ce que je vis, au désordre de mes émotions et de mes sensations... (à suivre)

Béatrice Nodé-Langlois