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samedi 1 mai 2010

Pas si simple que ça

Après la Journée du Livre d'Asnières-sur-Seine, et avant la 2e édition municipale des Portes Ouvertes des ateliers d'artistes, Béatrice Nodé-Langlois nous livre un nouvel épisode du feuilleton qu'elle consacre au Hang'art.


« Hang’art... une expression belle à se pendre... hang hang : doublement prospère en chinois » vient de m’écrire par courriel un ami, Pascal Payen Appenzeller.


« Pour partager quoi ? » avait-il répliqué du tac au tac quand je lui avais annoncé l’ouverture de ce blog. Ça m’a fait penser qu’en 1887 (source Wikipédia) Gauguin a peint « D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? »


Pourquoi ne pas tâcher de répondre à ces questions, chacun selon son humeur du moment ?

Ainsi, moi... Je ne sais toujours pas où je vais. Droit dans le mur, sans doute ? Ou plus sûrement dans un trou... Mais je sais que le dimanche 11 avril 2010, j’ai participé, espace Concorde, à la Journée du Livre d’Asnières.

J’y suis arrivée en même temps qu’un type en chapeau-claque et houppelande noire de cocher londonien à l’époque de Sherlock Holmes, qui tirait une valise. Je lui ai demandé s’il était prestidigitateur. Il m’a détrompée. Auteur de science-fiction, il m’a expliqué avoir créé « sa maison pour éviter le titre ignominieux d’auto-édition ». « On voit que vous n’êtes pas une habituée des salons » a-t-il ajouté en déployant une sorte de bannière publicitaire – mais aujourd’hui, on préfère le mot japonais de « kakemono ». Ensuite, il s’est fixé sur la poitrine deux badges fluo et clignotant, l’un en vert, l’autre en jaune.

C’était en effet ma première « Journée du livre ».


Vernissages, expositions, salons

Comme peintre, je ne compte plus les vernissages, expositions et salons auxquels j’ai participé. Et, comme écrivain, j’ai été invitée à des dizaines de soirées d’ouverture du Salon du Livre de Paris – cet entrelacs mondain où éditeurs, auteurs et lecteurs se fondent dans un bavardage pépiant et communient au champagne et aux petits fours, autour de tables et de rayonnages chargés de trop livres pour pouvoir jamais être lus.

J’avais beaucoup ri à ces manifestations. J’y avais été ébahie. J’y avais chahuté. Ma vanité y avait souffert quand mon roman, « La mère retrouvée », juste publié chez Plon, n’avait même pas été sorti des cartons quand j’étais arrivée sur le stand de mon éditeur... Une autre fois, je m’étais retrouvée nez à nez avec celui qui avait piraté un de mes manuscrits... Mais j’y avais aussi reçu l’orchidée la plus inattendue de ma vie...

Un peu de tout cela aurait dû suffire à me déniaiser. Eh bien non...

Je gardais du livre et de la culture une sorte de portrait robot hérité de l’école.

Le Livre restait pour moi Le Livre, et une « Journée du Livre » une rencontre prestigieuse entre auteurs et lecteurs.
Il m’a fallu voir un auteur de science-fiction s’y parer comme pour ces batailles rangées du temps où des chevaux piaffaient sous leurs caparaçons, et où les combattants portaient armures, casques, lances, oriflammes et écussons pour regarder d’un autre œil cet événement.


Le bar des auteurs

Dans le « bar des auteurs » un autre homme, au beau visage kmer, m’a raconté que né au Laos, il était arrivé en France à dix ans sans savoir un mot de français, et qu’il lui avait fallu compenser. Plus que compenser, rattraper. Plus que rattraper, dépasser... Si bien qu’il avait créé un jeu de société pour apprendre la grammaire, et une agence de publicité pour promouvoir ce jeu. Pour ne rien dire de ses autres activités... Il a ajouté qu’il souhaitait finir ses jours en ascète dans une grotte de Birmanie. « Je suis schizo » a-t-il précisé.

L’animateur radio s’animait au moment où je suis redescendue « Tout ça, a-t-il dit, s’engage sur les chapeaux de roue. À 9h, les marathoniens ont pris le grand départ à Paris. Notre marathon, nous, nous le commençons deux heures plus tard... » Il a repris son souffle avant de saluer les lauréats de la Grande Dictée. Après quoi, il a annoncé « le prix des lycéens ». « Venez nous réchauffer avec votre bonne humeur » a-t-il lancé à travers la salle, avant de remarquer que le texte primé racontait l’histoire d’un vieil homme à la fin de sa vie. « C’est que nos petits jeunes raffolent des horreurs, croyez-moi, ça trucide ferme dans cette histoire » ... Puis, sans transition : « à midi, a-t-il déclaré, on va parler théâtre ».

Les auteurs pour enfants occupaient le devant de la salle. Les auteurs, dits sérieux, s’ennuyaient autour du micro de l’animateur qui les avait à l’œil. Les marginaux – artistes, créateurs de jeux, auteurs de science-fiction, inventeurs, bricoleurs, fantaisistes diverses, bref tous ceux qui jouaient avec les mots de façon plus ou moins désordonnée – avaient été placés au fond... Moi, la binoclarde autrefois rangée parmi les élèves sages, on m’avait mise dans ce groupe des sans groupe. Peintre et écrivain à la fois, je me découvrais inclassable... C’était loin de me déplaire.

La foule des passants circulait. De drôles d’oiseaux pour la plupart dont les regards planaient et nous survolaient en évitant de se poser. Languissant lèche-vitrine de week-end. Peur autant qu’envie de se faire accrocher.

Assis derrière nos tables et nos livres, nous, les auteurs, attendions d’eux l’aumône d’un regard, après quoi, espérions-nous, le contact s’établirait, une amorce de dialogue, et peut-être... peut-être... un achat... La gloire ici ne s’approche qu’à tout petits, petits pas, à coup de petits, tout petits euros...


Salut l'artiste !

Certains, dont je faisais partie, se tenaient aussi cois qu’un pêcheur à la ligne sur son pliant. Mais d’autres ne se gênaient pas pour interpeller les promeneurs. Ainsi mon voisin, le sculpteur Arnaud Kasper, qui, s’il pêchait aussi, et même mieux que beaucoup, semblait le faire au lancer tant il déployait en superbes fouettés sa ligne, ses mouches, et sa langue. Salut l’artiste !

Vague souvenir d’avoir échangé quelques mots avec une Colombienne que le titre de mon livre « Les Ecrasés. Acte de naissance » avait surprise. Elle était kyné et travaillait dans un hôtel. Elle se promenait. Elle avait vu un marché, l’avait traversé, et était tombée sur cette manifestation...

Mon meilleur moment n’en reste pas moins la rencontre d’Henri Alleg, l’auteur de « La Question » - un des héros de mes années de Sorbonne - et de son petit visage en pomme reinette. Il racontait comme une bonne blague, avec une jubilation rieuse, les années de torture et de prison que lui avait values son engagement aux côtés du FLN, pendant la guerre d’Algérie – qui, alors, n’était pas censée être une « guerre » puisque l’Algérie était présumée française. Il sembla s’amuser de cette réflexion d’un passant, peu au courant du sens* qu’avait « La question » dans les années 60 : « Quand on pense que ces salauds ne vous ont jamais répondu ! »

Je n’ai rien vendu, mais je me suis fait plaisir en lui achetant deux livres.

La nuit suivante - comprenne qui pourra – je suis entrée en rêve dans une basse-cour au sol de terre battue, remplie de tout petits oiseaux, les uns morts, ou tout comme, et les autres qui sautillaient ou voltigeaient, mais toujours à ras de terre. Plutôt que d’une basse-cour à ciel ouvert, il pouvait s’agir d’une volière, c’est-à-dire d’une énorme cage grillagée. Mais, avec ou sans toit, les oiseaux ne s’envolaient pas. Ils ne s’élevaient même pas. Ils se contentaient de se presser les uns contre les autres au point de s’écraser. Je devais traverser cette cour pour accéder à un « petit atelier », une sorte d’appentis collé au bâtiment principal. Même en regardant où je mettais les pieds, je ne pouvais faire autrement que piétiner quelques oiseaux à qui je souhaitais d’être déjà morts avant de supporter mon poids...


Et maintenant, n’oubliez surtout pas qu’un blog est, entre autres choses, un ogre affamé de chairs fraîches.

Celui-ci attend de savourer les vôtres


Béatrice Nodé-Langlois


* torture à l’électricité, dite « gégène »

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